Article tiré du journal quotidien Le Nouvelliste valaisan datant du 15 juin 1918 :
“ Deux Esprits
On nous écrit :
La société d’Aluminium, par la voix de M. Dallèves, se déclare disposée – Quelle noble disposition ! – à payer les dégâts que ses gaz causent aux cultures et cela même par la voie administrative, ce qui est étonnant après la fameuse et intelligente déclaration de M. Détraz. On laisse même entendre que les indemnités seront si élevées qu’elles couvriront toutes les pertes subies depuis 10 ans. C’est presque trop beau pour y croire, mais il aurait fallu dix ans de campagne de presse pour triompher de la force brutale venue chez nous d’outre-Rhin. Attendons. Deux questions, au reste, restent à régler et les propriétaires ont raison de ne pas céder avant qu’elles le soient, celle du bétail et celle des personnes, deux catégories d’êtres qui souffrent comme les arbres des sales émanations de l’usine. Le bétail de Chippis est malade. Beaucoup de vaches ont dû être abat- tues déjà durant ces dernières années, parce qu'elles dépérissaient. Pour le petit agriculteur c’est la ruine. Il le sent et maudit l’usine. Car il raisonne ainsi, lui qui n’a pas étudié tant de chimie : mon bétail ne donne plus de lait, tombe malade d’une maladie tenace parce que le fourrage ne vaut plus rien, contaminé par les fumées de l’usine. Donc, l’usine est la cause de ce mal ; elle empoisonne mon foin qui empoisonne ma vache. Ce raisonnement fait rire M. Détraz, docteur en chimie [et directeur de l’usine de Chippis]. Il faut, dit celui-ci, la preuve scientifique, le nom de la maladie, la cause de la maladie, et on verra. Le petit paysan n’est pas si savant ; mais il souhaiterait que M. Détraz se fit végétarien, herbivore pour quelque temps, aux fins d’expérimenter les effets des gaz sur la valeur des aliments. Chacun croirait alors à ses sentiments dont il n’a encore montré la bonté qu’en paroles. C’est, enfin, la salubrité publique, question capitale. Il est certain que les santés sont atteintes depuis que l’usine infecte l’air de ses gaz. Le paysan tient ici le même raisonnement : il faut un bon air pour une bonne santé. Or, Chippis est couvert d’une vapeur grisâtre, émanations de l’usine. Donc l’usine nuit à la santé. M. Détraz rit encore de cette logique ; il lui faut la preuve scientifique. Le paysan n’a pas une automobile ni 25 mille francs par an, pour se payer chaque jour une table bien garnie et, de temps à autre, un séjour en site pur. En attendant donc que les vétérinaires examinent la race bovine et les médecins la race humaine et trouvent le nom et la cause du mal qui les atteint, l’habitant de Chippis souffrira en ses biens et en son corps et l’usine empochera ses bénéfices scandaleux. Les Juifs de Stuttgart et d’ailleurs ne regardent pas plus loin. Nous avons le devoir, nous, de soutenir la cause nationale, et nous ne faiblirons pas à ce devoir.
Le Ligueur. “
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Dessin & installation
Espace public, Chippis, Valais
Juin 2022